vœux de Laloutre
Et dans :
Le Progrès Illustré du 4 janvier 1891
La fête de la Noël et les apprêts de celle du jour de l’An ont tenu une place considérable dans cette dernière huitaine. On a réveillonné avec un entrain véritable. Serait-ce le réveil du Réveillon ? J’ajoute qu’à Lyon, les heureux qui s’amusent n’ont pas oublié ceux qui manquent du nécessaire. Il y avait, rue de l’Hôtel de Ville, un grand souper chez une belle personne bien connue. Les convives, au nombre d’une trentaine, venaient d’entendre la triste histoire d’une pauvre famille du quartier, réduite au dernier dénuement, lorsqu’une jolie, très jolie personne blonde, désireuse de montrer qu’elle n’avait pas le cœur tendre seulement pour les riches, s’écria :
Il faut que ces pauvres gens aient leur part de notre fête. Messieurs, j’ouvre une vente aux enchères à leur profit. Voici une mèche de mes cheveux que l’un de vous, bien doué pour la métaphore, voulait bien comparer à une vapeur d’or…
A combien la vapeur d’or ?
- Cinq louis!
- Six!
- Dix!
A ce moment, les enchères languissent.
—Dix louis! s’écrie la petite femme, en imitant le ton et les façons des commissaires priseurs ; dix louis ? Mais c’est pour rien, messieurs, j’y perdrais. Vous n’avez pas bien vu… Prenez l’objet en mains. Voyons, une fois, deux fois… Dix louis ! quelle humiliation pour moi, messieurs !
- Douze!
- Quatorze!
- Seize !
- Vingt !
Allons, vous là-bas, dit la vendeuse à un gros millionnaire qui n’avait pas paru s’occuper de l’incident ; à vous l’honneur de dire le mot de la fin.
—Vingt-cinq louis ! dit l’interpellé, d’assez bonne grâce.
Adjugé, avec mes remerciements !
Et voilà comment une pauvre famille très digne d’intérêt a eu une heureuse surprise. Ces cinq cents francs prélevés sur une nuit joyeuse lui auront apporté du bien-être pour une partie de ce rude hiver.
Paul Clairefont